mardi 23 septembre 2014

Les 24 heures d'IKEA.

Mardi matin 9 septembre (hum...), nouvelle journée normale au boulot. Mails, petit thé. À 11h30, Augustin, mon (grand) maître de stage, débarque dans mon bureau. Enfin, manière de parler : il passe dans le couloir, quoi, car c'est là, en face des imprimantes, qu'est situé mon poste, à côté de celui d'un autre stagiaire, Abdel.

"Les gars, j'ai une petite mission pour vous. Vous êtes dispos ? 25 minutes."

Et comment donc, Houston. Déjà, c'est bienvenu de pouvoir se décoller de son ordi 25 minutes, et puis il faut quand même se faire bien voir par son chef, quoi. Rendez-vous derechef en salle de réunion.


"Voilà, on a reçu un meuble. Il est tout en pièces détachées, il va falloir le construire, alors on s'est dit que ce serait un super travail pour les stagiaires. Non ?"

Ma foi, je n'ai rien contre. Un petit peu de travail manuel, cela remplit d'allégresse. Mais par contre, "C'est sensé être quoi comme meuble ? Ça a un sens, une forme, un objectif ? Parce que là il y a que des planches.
- Ah, euh, oui, c'est une commode. Tenez, là, vous avez un mode d'emploi."

Non, pas d'autre page. Non, pas d'autre mot non plus.
Okkk... Ben je comprends pourquoi ils ont recruté un ingénieur. Abdel ne paraît pas très enthousiaste ; de mon côté, il ne sera pas dit qu'un meuble, même fabriqué par je ne sais quel haïtiano-sud-soudanais qui ne savait pas lire ou écrire, ne peut pas être monté par le Ju. La tâche s'annonce cependant rude et le temps de faire l'inventaire des pièces présentes et de comprendre ce qui va où - car ce n'est pas comme si les numéros du mode d'emploi apparaissaient sur les pièces - les 25 minutes promises sont déjà écoulées.


Première conclusion : il nous faut une visseuse. La Chambre possède une boîte à outil avec quelques tournevis, mais les trous ne sont que pré-dessinés et clairement, au vu de nombre de vis que l'on va devoir enfiler, il est hors de question de tout faire à la main si l'on veut avoir fini avant demain. Après un petit tour de prospection dans les bureaux voisins, une expédition visseuse est décidée.

Augustin, Abdel et moi-même nous dirigeons vers un petit magasin de bricolage non loin de là. Le genre d'enseigne typique de la ville : un long local de deux mètres cinquante de large coupés en deux par le comptoir. Le service est à la chilienne : deux vendeurs sont en service, et après vingt minutes de queue (il y avait bien deux clients avant nous) nous comprenons un peu plus le pourquoi du comment d'une telle lenteur. Notre vendeur doit aller à un bout du magasin pour aller chercher ce que nous lui demandons. Problème : il doit croiser son collègue. Et puis bon, son espace n'est pas bien large : seulement un mètre. Alors il s'arrête le temps que l'autre vendeur finisse sa discussion avec son client, sous notre regard ahuri. Deux minutes plus tard, il nous ramène une visseuse. Manuelle. Nous rebroussons chemin mais pas question de se laisser gagner par le dépit.

Un quart d'heure de marche plus tard, nous rejoignons le Costanera Center, un centre commercial géant situé au pied de la tour du même nom, dans lequel j'étais déjà allé lors de mon premier weekend à Santiago. Du haut de ses 300 mètres, la Torre Costanera (parfois surnommée par les Santiaguinos el Pene Gigante, dont je laisserai les plus aventureux d'entre vous chercher la traduction), est le seul gratte-ciel de Santiago.

C'est aussi la tour la plus haute d'Amérique du Sud, dans la région la plus sismique d'Amérique du Sud.
C'est des oufs, ces Chiliens, je vous dis.
Au moins, ici, les magasins de bricolages, c'est pas de la rigolade. Devant le choix de visseuses, bien électriques cette fois, qui nous est présenté, nous demandons conseil au vendeur. "Ah, moi, je vous conseille celle-ci, c'est le meilleur modèle." Ah ben tiens, et pis c'est le plus cher en plus. "Mais vous auriez pas quelque chose de pas trop cher sinon ? - Ah celui-là peut vous aller." Le modèle le moins cher. Ah ben merci !

Je fais appel à quelques lointains souvenirs d'ingénierie pour me rappeler ce que sont les N.m et nous finalisons notre choix tous seuls comme des grands. Nous mangeons au restau pour fêter ce succès, mais avec Abdel seulement, Augustin ayant un rendez-vous ailleurs. Il y a justement une enseigne qui fait des formules pas très chères à proximité et nous nous y rendons. Les formules ne sont par contre disponible qu'en terrasse. Budget de stagiaire oblige, nous nous asseyons dehors et dégustons dans le froid un déjeuner frugal mais honnête pour son prix.

L'après-midi, retour aux affaires. Munis de notre arme fatale, enfoncer toutes ces vis est un jeu d'enfant. Tiroirs, poignées, glissières, rien ne nous résiste, et c'est même plutôt ludique.

Chaque nouvelle étape est une victoire.
L'après-midi avance et le meuble aussi. La secrétaire est affolée de l'état de la salle sachant qu'une réunion doit s'y tenir le lendemain à 12h30. Ah, mais ne voit-elle pas que le meuble sera fini avant même ce soir ? Quoique, finalement, nous n'aurons pas tant de marge que ça. Mais voilà, la fin de la journée de travail arrive et tout est monté : le corps du meuble, les glissières sur celui-ci, et les quatre tiroirs. Enfin ! La victoire nous tend les bras !

C'est non sans contentement que nous enfilons le tiroir dans son réceptacle ; il n'y a plus qu'à fixer les glissières sur les tiroirs. Oui mais voilà : ceux-ci ne rentrent pas. Non, impossible de les fermer, il manque cinq centimètres.


Mais comment cela est-il possible ? Les glissières peuvent-elles être si absurdement conçues qu'il est impossible de fermer le tiroir à fond ? Il paraîtrait ; effectivement quelle que soit la manière de positionner ces dernières vis-à-vis du meuble ou des tiroirs, il est impossible d'y faire coïncider les trous pour la fixer et de pouvoir en même temps faire rentrer le tiroir au fond du meuble. Damned, il va falloir trouver une solution à l'arrache pour faire fonctionner tout ça. Probablement percer de nouveaux trous nous-mêmes... Mais certainement pas aujourd'hui, puisqu'il est déjà tard, que tout le monde s'en est allé, et que même Abdel semble capituler devant le manque de solution. Et surtout que la batterie de la visseuse est maintenant particulièrement à la peine, galère pour creuser des trous pré-percés, alors pour en faire de nouveaux... Je décide que la nuit porte conseil.

À la fin de la journée, le meuble n'est donc pas monté.

Ce n'est donc pas une journée professionnellement satisfaisante.
Ah, la nuit fut longue et l'échec difficile à supporter. Mais le lendemain, je ré-attaque derechef. Étant arrivé plus tôt que mon compagnon de menuiserie, je réalise un examen approfondi de la situation. De mon œil reposé, je m'aperçois que tous les tiroirs n'ont pas les mêmes trous. Eurêka, comme dirait l'autre ! En fait, ces fourbes de côtés des tiroirs avaient un sens, il n'était pas possible de les utiliser indifféremment. Le truc très possible à concevoir quand on commençait à monter le tiroir... Bref, pris d'un élan nouveau, je me relance dans le chantier, tout en sachant que la réunion va finir par approcher et que cette fois aucun délai nuptial supplémentaire ne sera permis.

Quand à 10 heures Abdel arrive, tous les tiroirs sont retapés. Nous faisons des tests et les tiroirs s'accordent parfaitement avec les trous des glissières et peuvent fermer à fond. Plus qu'à visser les tiroirs... Un grand merci donc à la femme de ménage qui en passant hier soir a jugé opportun de débrancher notre chargeur de batterie ! Après un peu d'huile de coude et plus de temps que prévu, les tiroirs sont fixés, le meuble est dressé, déplacé, et la salle de réunion rangée alors qu'il n'est même pas midi...

Si ça c'est pas de la mission accomplie.
En tout cas, même la presque sympathique secrétaire de la Chambre en a retrouvé le sourire. Je n'obtiendrai malheureusement pas ma photo avec elle mais elle récitait ¡Estupendo! sur ¡Estupendo! (= "génial", "fantastique") (ce mot m'amuse beaucoup) et il va sans dire que je me la suis mise dans la poche pour les semaines à venir.

Enfin, nous pouvons nous remettre au travail. Et ce n'est pas peu dire qu'il y en a qui nous attend :

Des journaux sont arrivés à la Chambre et il y a un supplément au centre qu'il faut retirer avant de pouvoir les mettre sur les présentoirs...
Ah la la. Et moi qui après trois coups de tournevis me retrouve avec une ampoule au milieu de la paume. Nan mais, je vais me mettre en arrêt de travail, je vous jure.

4 commentaires :

  1. Contente de voir que toutes ces années d'études te permettent de ne te planter qu'une fois pour monter un meuble...! Y'avait pas les cotes sur ce plan bon sang de bonsoir ?

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  2. Rien ! Vous avez toute l'information dont je disposais !

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  3. A quand un diplôme "Ingénieur montage de meubles" ??
    Avec spécialité "Plans chiliens"

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